Je trouve dans la lecture de L’art de la thérapie d’Irvin Yalom que l’ouvrage le plus utile était un livre de Karen van Horney, Neurosis and Human Growth. Il précise : « le concept le plus utile que proposait ce livre était la disposition naturelle montrée par l’être humain à l’accomplissement de soi. Si les obstacles qui s’y opposent sont éliminés, d’après van Horney, chaque individu peut devenir un adulte mature, pleinement accompli, tout comme un gland devient un chêne majestueux ».
Cette idée de disposition naturelle et d’élimination des obstacles m’invite à établir un parallèle avec les études sur la motivation de Edward L. Deci et Richard M. Ryan. Ces auteurs distinguent deux principaux types de motivations :
- La motivation intrinsèque, dans laquelle l’action est conduite uniquement par l’intérêt et le plaisir que l’individu y trouve, sans attente de récompense externe.
- La motivation extrinsèque, liée à une circonstance extérieure : punition, récompense, recherche de l’approbation d’une autre personne, pression sociale…
(Modèle simplifié à l’extrême, les auteurs établissent en fait une échelle de motivation intégrant quatre niveaux de motivation extrinsèque. Pour en savoir plus, voir par exemple sur le site https://www.lesmotivations.net/spip.php?article42 )
Ces mêmes chercheurs identifient trois besoins fondamentaux chez les individus :
- Besoin d’autonomie, d’être responsable de ses choix, de les assumer
- Besoin de compétence, d’utiliser ses capacités, d’exercer sa curiosité, de relever des défis, de progresser
- Besoin de relations, d’appartenance
Si les chercheurs séparent bien les besoins psychologiques fondamentaux de la motivation, Cette condition n’est pas suffisante -la nature de l’activité elle-même est évidemment un facteur important- mais elle est au minimum favorable, voire nécessaire.
A contrario, l’organisation qui va à l’encontre de ces besoins psychologiques par un management qui limite l’autonomie et la prise d’initiatives, qui cloisonne et déshumanise les relations en son sein ne peut pas attendre de ses collaborateurs qu’ils soient spontanément motivés et doit déployer des efforts constants (et souvent inefficaces) (sous la forme par exemple de la carotte et du bâton, les primes et les sanctions).
Les chiffres largement diffusés de l’étude Gallup sur le degré d’engagement des salariés, qui donnent pour la France 9% de salariés engagés, 65% de salariés désengagés, et 26% de salariés « activement désengagés » (c’est à dire force d’obstruction et de contestation) sont éloquents sur le peu de motivation des salariés au travail.
Il semble pourtant raisonnable de penser que lorsque ces salariés ont été embauchés, ils avaient un plus fort taux d’engagement : dans la mesure du possible, ils ont postulé pour des activités qui les attiraient, et dans la mesure du possible également, les recruteurs ont choisi des candidats motivés. Par conséquent, c’est au sein de l’organisation qu’il faut chercher les raisons de leur désengagement ultérieur : qu’est-ce qui a fait que les salariés ont perdu leur motivation ? Sur la base des études de Déci et Ryan, une partie au moins de la réponse doit résider dans un mode de management qui ne permet pas la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux des salariés, en d’autres termes qui met des obstacles à la motivation intrinsèque, naturelle, des salariés.
Le parallèle avec la référence d’Irvin Yalom au livre de Karen Van Horney que je cite au début de cet article est là.
- Si l’individu ne se réalise pas pleinement, ce n’est pas parce qu’il est dans sa nature de se satisfaire d’une condition inachevée, imparfaite ou médiocre. Au contraire, il est naturellement porté à se développer et à s’accomplir. Et s’il ne le fait pas, c’est parce que des obstacles sont placés sur sa route.
- Si l’individu n’est pas engagé dans son travail, ce n’est pas parce qu’il est dans sa nature de faire ce qu’on lui demande, sans plus. Au contraire, il est naturellement porté à faire preuve d’autonomie, à être responsable, à utiliser ses capacités, à relever des défis, à progresser. C’est même un besoin chez lui. Et s’il ne le fait pas, c’est également parce que des obstacles sont placés sur sa route.
Pousser un individu à s’accomplir sans chercher à comprendre ce qui l’empêche de le faire spontanément (peurs, croyances limitantes, etc.), ou essayer de motiver un salarié par des facteurs extrinsèques sans se demander pourquoi il ne suit pas sa nature qui devrait le pousser à s’investir dans ce qu’il fait, c’est s’attaquer à un symptôme plutôt qu’aux causes du problème.
Et nous le savons tous : il est plus efficace -mais pas toujours facile !- de s’attaquer aux causes d’un problème qu’à ses manifestations visibles.
Et dans le cas de la motivation des salariés, c’est au prix parfois pour le management d’un questionnement, d’une remise en cause de son propre fonctionnement, voire d’un changement de croyances et de schémas de pensée… Par exemple admettre que d’une façon générale les salariés ne viennent pas au travail seulement pour toucher un salaire mais qu’ils sont naturellement portés à s’investir dans leurs activités, à relever des défis, à progresser, à prendre leurs responsabilités… et admettre également que si ce n’est pas le cas, c’est au sein de l’organisation qu’il faut en chercher la cause première…
Besoin d’un coaching, peut-être ?